Les présidents de jury
Avant l’heure, Albert Kahn avait identifié la photographie comme outil de documentation du monde capable de contribuer à construire la paix entre les peuples. Il initia alors ses bourses autour du monde avec pour devise :
« Oubliez tout ce que vous avez appris et ouvrez grands les yeux »
Dans une civilisation où les mutations toujours plus rapides bouleversent notre climat social et environnemental, il est plus que jamais indispensable de documenter le monde en mouvement.
Face au sacre de l’ego sur les réseaux sociaux, l’enflement du déni en politique et l’obsession du développement personnel comme principe de vie chez nos contemporains, remettre la connaissance de l’autre au centre du débat s’impose.
Dans un contexte géopolitique à l’équilibre fragile, la construction de la paix et le dialogue entre les cultures deviennent une priorité.
Au sein d’une société où l’engagement est devenu un don rare et difficile à exercer, toutes les initiatives destinées à accompagner les vocations sont salutaires.
Dans un écosystème digital où les droits d’auteurs sont regrettablement mis à mal, soutenir les photographes est devenu une véritable responsabilité.
C’est dans ce contexte qu’il m’a semblé nécessaire en 2017 d’inventer une nouvelle histoire des bourses autour du monde d’Albert Kahn. C’est ainsi que les Rencontres Photographiques des Amis du Musée Albert-Kahn ont vu le jour.
J’ai été heureuse d’initier ces moments de partage photographique entre experts en recherche de nouveaux talents et photographes à la pratique professionnelle souvent trop solitaire en quête d’expertise.
Je remercie tous les photographes venus des 4 coins de la planète pour leurs formidables travaux engagés et fidèles à l’humanisme d’Albert Kahn. La qualité et la variété des sujets furent d’une grande richesse et témoignent d’une énergie vitale intacte et désintéressée dans la quête de connaissance du monde et de transmission de l’information.
J’ai été heureuse de contribuer à leur offrir, au-delà d’un soutien financier, des opportunités de rencontres, un accompagnement et des occasions de divulguer leurs sujets et de nouer des collaborations fructueuses ainsi que des amitiés au-delà des frontières et des cultures.
Impliquant beaucoup de sacrifices, de prise de risques, de persévérance, témoignant de valeurs fortes et louables comme l’ouverture d’esprit, la tolérance, l’empathie, leur pratique de la profession est belle, courageuse, inspirante. Elle méritait une véritable mobilisation.
Merci à tous les nombreux experts, bénévoles, partenaires et mécènes qui ont répondu présents avec générosité, implication et fidélité au service de cette noble cause.
Ivane Thieullent
Présidente du jury 2018
La première surprise fut celle du nombre de candidats, puis celle du nombre de professionnels du monde de la photographie qui avaient décidé d’accompagner l’initiative en recevant un à un les impétrants.
Puis il y eut les rencontres, les échanges, ces tête-à-tête avec des inconnus – la plupart du temps, mais pas toujours – qui venaient défendre un projet, des envies, des engagements. Un début de dialogue, la certitude avec certains de les revoir. Et l’évidence que tous ces photographes qui souhaitaient – et la plupart du temps avaient commencé – dresser un état de la planète en dialogue avec ce que fut le projet d’Albert Kahn, nous donnaient à voir un état de la photographie. Aujourd’hui, dans sa diversité, dans un foisonnement devant servir une proposition documentaire. Revigorant et inégal, comme toujours. Puis vint le jury, avec ses enthousiasmes et ses réticences, comme toujours. Et à la fin, la certitude d’avoir fait des découvertes et d’avoir accompagné des projets qui faisaient sens.
Christian Caujolle
Président du jury 2019
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Le jury des Rencontres Photographiques des amis du musée Albert-Kahn 2019 que j’avais l’honneur de présider fut la dernière rencontre des gens de la photographie confinés ensuite dans leur chez soi derrière leur écran d’ordinateur. Dans les deux jours qui précédèrent la tenue du jury nous eûmes de longues conversations avec la présidente Sylvie Jumentier et Ivane Thieullent, la directrice de la bourse. Devions-nous nous réunir ou non ? Les informations étaient confuses et alarmistes. Ajourner, se contenter d’additionner des notes pour décerner un prix, réunir quand même beaucoup de monde dans une petite salle ? Pas facile de prendre une décision.
Les 308 candidats avaient pris la peine de s’inscrire, 205 avaient rencontré au moins un membre du jury. Et quelles rencontres ! Mais pour beaucoup, il y avait l’espérance d’un prix avec la lumière qui éclaire le travail, l’exposition, des espèces sonnantes et trébuchantes pour un nouveau projet, pour un livre dont il faut boucler le budget, ou tout bonnement pour renouveler le matériel informatique. Ils étaient 110 hommes et 95 femmes originaires de 25 pays à s’être rendu à Boulogne-Billancourt, boite d’images, livre, ordinateur sous le bras. Des jeunes pétris d’enthousiasme et envahis par le doute, des moins jeunes heureux de rencontrer si facilement des experts injoignables. Beaucoup dans la force de l’âge et des possibles. La moyenne d’âge était de 35 ans.
Le jury composé de 78 experts, des collectionneurs, des commissaires d’exposition, des conservateurs et personnels d’institutions, des responsables d’agences de photographes, de festivals, de foires, de fonds de dotation et de laboratoires, des galeristes, des iconographes, des journalistes et gens de la presse avaient eux aussi pris le chemin de Boulogne-Billancourt pour rencontrer les photographes. Ils avaient regardé leur site, avaient classé celui, celle, dont le travail s’imposait d’évidence, dont les échanges avaient été prometteurs, hésité devant tel ou tel dossier qu’il fallait mettre en avant, s’étaient souvenu d’une autre rencontre avec eux, d’un autre travail, avaient pesté contre des dossiers beaucoup trop loin de l’esprit d’Albert Kahn, des images qu’ils avaient vu passer dans un autre jury, pour un autre prix.
Je décidais de réunir le jury. Je pressentais qu’il y avait urgence, que nous nous engagions dans une période incertaine. Il se réunit le vendredi 12 mars 2020 juste avant le premier confinement. Presque tous les membres firent abstraction de leurs angoisses et de leurs interrogations et vinrent. On discuta, palabra, revit le travail des uns et des autres, on négocia, on jouit de l’hospitalité conviviale d’Ivane dans sa galerie VOZ’image, et le jury décerna les trois prix de 6 000 euros chacun à Julie Franchet, Yulia Grigoryants et Aleksey Myakishev. Le vernissage des expositions se tint le 28 septembre dans les jardins du musée Albert-Kahn en présence de sa directrice Nathalie Doury et de deux des lauréats. Aleksey Myakishev, en direct de Moscou via un smartphone, fut de la fête.
Françoise Denoyelle
Présidente du jury 2020
La force de la photographie documentaire réside dans sa capacité de dresser un état des lieux du monde, tel qu’il va. C’est un art de l’observation participante, en lutte contre les déficits de représentation, pour produire une connaissance actualisée sur les axiomes enchevêtrés de la réalité. Les pratiques situées dans le genre documentaire abordent tous les aspects de la vie, des plus visibles aux plus infimes et fragiles. L’art photographique participe d’un réalisme critique, qui sait se nourrir de la rencontre in situ et in vivo avec les formes de vie, humaines et non-humaines. Art de la recherche appliquée, enquête de terrain, la photographie agrège autour d’elle autant les sciences humaines que la poésie. Elle est une manière sensible et informée d’approcher le réel.
Les lauréats des Rencontres photographiques des Amis du musée Albert-Kahn participent aujourd’hui à l’écriture en direct d’une contre-histoire des temps présents. Ces artistes pratiquant la photographie documentaire prennent leur charge dans le processus d’amélioration de l’humanité. Face à la permanence de la guerre, à l’abrasion de la mémoire des peuples opprimés, à l’oubli des sans-noms, à l’invisibilisation de celles et ceux qui vivent dans les marges de la société, leur engagement consiste en une force d’empathie, de relation, de don et de générosité, qui consiste en tout premier lieu à se coltiner ce réel que nous façonnons ensemble au quotidien.
Pascal Beausse
Président du jury 2021
Les Rencontres Photographiques des Amis du Musée Albert-Kahn est un projet ambitieux – à la mesure du projet d’Albert Kahn – qui s’est déployé au cours des cinq années de fermeture du musée pour travaux. Le déroulé, en plusieurs volets, semble assez complexe, mais est en fait très construit et pertinent. D’abord un temps de lectures de portfolios au moment de la semaine de Paris Photo, ce qui permet d’y accueillir des photographes non parisiens (195 participants cette année). La première partie de ma mission a donc été une réflexion sur la liste des experts, et j’ai sollicité des nouveaux membres du jury pour constituer un panel le plus diversifié possible de 80 professionnels de tous les domaines de la photographie (presse, édition, festivals, centres d’art, galeries…). Si chacun de nous rencontre quelques-uns des photographes, nous avons accès à tous leurs dossiers sur une ressource internet afin de dégager une liste de onze finalistes qui sera étudiée en jury pour l’attribution de bourses aux lauréats. Et pour mener les délibérations du jury, j’ai proposé aux jurés qui avaient rencontré le photographe en novembre de raconter et lancer la discussion à l’étude de chaque portfolio finaliste.
Cette année, nous avions la possibilité d’attribuer quatre bourses, ce qui est un formidable soutien à la photographie, et permet, en tant que présidente de jury, de constituer un quatuor de lauréats avec des profils de photographie documentaire différents : des écritures qui documentent le monde et les relations des hommes avec leur territoire, une photographie portée par des valeurs humanistes, mais aussi, fidèle à la curiosité pour les innovations techniques d’Albert Kahn, une photographie qui explore des écritures techniques expérimentales.
Enfin, le critère de la parité n’était pas posé comme une règle de départ, mais il est satisfaisant de constater que, dès lors que les femmes participent, montrent et défendent leur travail, elles gagnent les prix et bourses, naturellement, à parts égales.
Florence Drouhet
Présidente du jury 2022